Mindfully Muslim : changer les choses dans la vie des Canadiens musulmans

Cette semaine marque la Semaine de sensibilisation aux maladies mentales, qui a lieu du 3 au 9 octobre et au cours de laquelle les Canadiens sont encouragés à accueillir l’autre, à célébrer et à se rapprocher.
En 2007, le mois d’octobre a été proclamé Mois canadien de l’histoire islamique en reconnaissance des contributions importantes de la communauté musulmane à la société canadienne. Pendant le mois, les Canadiens sont invités à réfléchir à la contribution des Canadiens musulmans à la riche histoire de notre pays.
En l’honneur de ces deux célébrations, nous nous sommes entretenus avec la Dre Yusra Ahmad, MD, FRCPC, psychiatre communautaire et universitaire à Toronto. La Dre Ahmad est affiliée au Women’s College Hospital et au University Health Network. Elle est aussi chargée de cours clinique à l’Université de Toronto, membre du conseil de l’Association des psychiatres de l’Ontario et conseillère pour l’émission Transplant de CTV.
Qu’est-ce qui vous a incité à devenir psychiatre communautaire et universitaire?
J’ai choisi de devenir psychiatre parce que j’aime les gens et leurs histoires. Chacun d’entre nous poursuit un cheminement et je suis profondément honorée de pouvoir être témoin d’une partie du parcours personnel d’autres personnes. J’aide les autres à traduire leurs pensées et leurs sentiments en mots, à relier ces mots entre eux pour en faire des récits, à comprendre les schémas de leur vie, à trouver des solutions créatives à leurs problèmes, à servir de point d’ancrage compatissant mais stable lorsque les difficultés abondent, et à préconiser des changements qui pourraient les aider à mieux gérer leurs émotions.
Ma foi m’incite régulièrement à faire ma part pour soulager la souffrance des autres et pour laisser le monde dans un meilleur état que celui dans lequel je l’ai trouvé.
Écouter attentivement, faire preuve de compassion et accorder toute son attention à un autre être humain est un acte de plus en plus rare, mais essentiel, qui aide cette personne à se sentir suffisamment en sécurité pour guérir. La guérison d’une personne a un bel effet d’entraînement. À travers cette personne, je peux aussi contribuer à renforcer les relations dans les familles, les lieux de travail et les communautés.
Nous sommes tous interreliés, et comprendre le contexte social plus large de la souffrance est d’une importance capitale pour moi. Je crois au renforcement des filets de sécurité sociale par un travail communautaire à l’échelle locale. Parallèlement, le fait d’être dans le milieu universitaire me permet d’avoir un impact sur autrui par l’enseignement et la recherche. Enfin, travailler avec l’Association des psychiatres de l’Ontario me permet de défendre cette cause à plus grande échelle.
Vous avez créé le programme de thérapie de groupe Mindfully Muslim en 2017 à la suite de l’impact de traumatismes répétitifs sur la communauté musulmane, commençant par les événements du 11 septembre et culminant avec la fusillade dans la mosquée de Québec. Parlez-nous davantage du programme et de son impact dans la vie des Canadiens musulmans.
Mindfully Muslim est un programme de thérapie de groupe fondé sur la foi, culturellement sûr, anti-oppressif et qui tient compte des traumatismes. Il s’adresse à la communauté musulmane, bien que des participants non musulmans y participent également. Le programme combine les enseignements de la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience à la sagesse de la tradition islamique. Parmi les participants, on compte des réfugiés, des immigrants et des musulmans nés au Canada, de tous horizons. Ceux qui ont participé au programme ont apprécié l’intégration de la spiritualité aux soins de santé mentale et l’ont trouvé particulièrement efficace pour les aider à surmonter leur détresse. Le programme est hautement holistique, intégrant l’âme, le corps, l’émotion et l’esprit. Je combine également l’art à la science, en intégrant la poésie à la neurobiologie, par exemple. Lorsque j’ai créé ce programme, je me suis inspirée de mes racines islamiques et du riche héritage que nous ont laissé les scientifiques et les poètes musulmans.
Mindfully Muslim est également un « tiers-lieu ». Il est impossible de trouver un service de ce type dans les établissements médicaux traditionnels, et il est également impossible de le trouver dans les mosquées. Je m’efforce de combler un fossé important et de permettre aux clients d’exprimer en toute sécurité leurs difficultés, qui émanent à la fois de la communauté musulmane et du monde extérieur.
Je suis captivée par l’idée d’un endroit où les barrières culturelles, raciales et même religieuses deviennent flexibles, s’effondrent et disparaissent, laissant la place à quelque chose d’entièrement nouveau, et à la fois d’extrêmement familier, rassembleur, thérapeutique et peut-être même rédempteur. J’ai été influencée par le travail de Homi K. Bhabha de l’Université Harvard, sa façon de conceptualiser le « tiers-lieu ». Je suis également inspirée par les états spirituels de fusion et d’anéantissement si vivement exprimés par des sages, du passé et du présent, particulièrement dans la poésie soufie et les écritures islamiques, et l’idée de retourner à notre « fitrah », un concept islamique qui évoque une soif spirituelle innée et un caractère naturel pur et bon.
Mon plus grand rêve est de faire évoluer le paradigme actuel de ma profession vers un modèle plus inclusif, plus compréhensif, plus holistique et plus humain. Je veux remettre l’« âme » ou la « psyché » dans la psychiatrie.
Récemment, une famille de Canadiens musulmans a été attaquée à London, en Ontario, en raison de la haine et des préjugés. Comment les alliés peuvent-ils soutenir la santé mentale et le mieux-être de leurs amis, voisins et collègues canadiens musulmans?
Les alliés peuvent nous soutenir en prenant des nouvelles de leurs voisins et amis musulmans après de tels événements traumatisants. Ils peuvent également contribuer en contestant la rhétorique antimusulmane en en apprenant davantage sur la beauté de la foi islamique, son incroyable impact et son héritage fascinant dans des domaines aussi différents que l’algèbre et la médecine, ainsi que sur les contributions actuelles de Canadiens musulmans. Ils peuvent faire entendre nos voix, mettre en lumière notre histoire et prendre notre défense lorsqu’ils entendent des discours antimusulmans ou sont témoins de violence. Il nous faut voir d’importants changements dans les médias, la culture et la législation, de même qu’en politique.
Les musulmans forment une mosaïque spirituelle et culturelle fascinante. Notre amour pour notre Créateur nous pousse à nous soucier de l’humanité entière et de la Terre. Nous avons de nombreux cadeaux à offrir. Notre foi nous enseigne à être généreux, bons, courtois et justes, même face à la haine et à l’injustice.
Selon vous, quel rôle la culture joue-t-elle dans le débat sur la santé mentale et la maladie mentale au sein de la communauté musulmane, et en quoi la célébration de cette culture peut-elle favoriser un mieux-être mental?
Les personnes issues d’une culture solidaire, ouverte, souple et confiante seront généralement disposées à s’attaquer aux problèmes internes de celle-ci avec honnêteté et intelligence. Bien que la santé mentale et le bien-être émotionnel soient hautement prioritaires dans l’Islam et que la recherche d’un traitement de santé mentale parallèlement à un traitement médical et spirituel soit historiquement encouragée, de nombreux musulmans ne connaissent pas très bien leur propre histoire et se sentent déconnectés de leurs racines. Comme dans de nombreuses autres communautés, des jugements persistent qui empêchent les personnes de demander de l’aide. À cela s’ajoute la peur d’être mal compris ou de ne pas être pris au sérieux.
Il existe également une méfiance à l’égard des services de santé mentale traditionnels et une incapacité de la part de nombreux professionnels de la santé mentale laïques à accueillir une personne dans sa totalité, incluant ses identités culturelle et religieuse, dans l’espace thérapeutique. En outre, il y a une pénurie de services accessibles adaptés aux besoins et aux problèmes particuliers de communautés comme la communauté musulmane. Le résultat malheureux de tout cela est que de nombreuses personnes luttent seules et en silence.
Voilà pourquoi j’ai créé Mindfully Muslim. Premièrement, je veux rappeler aux gens que certains des premiers hôpitaux psychiatriques de la planète se trouvaient dans le monde musulman. Deuxièmement, je souhaite démanteler les idées fausses et nuisibles par le dialogue et la psychoéducation. Troisièmement, je veux restaurer la confiance, la dignité et l’autonomisation en rappelant aux gens leurs propres ressources internes de guérison et la richesse collective que nous avons à offrir, qui est plus pertinente que jamais.
Enfin, les groupes eux-mêmes deviennent le noyau de communautés plus solidaires, plus ouvertes, plus souples et plus aimables, au sein desquelles la personne et la collectivité sont honorées et renforcées, au bénéfice de tous ceux concernés.
Il n’est pas nécessaire, à mon avis, de rejeter l’autre lorsque nous formons un tout.
Merci, Dre Ahmad, d’avoir partagé votre point de vue. Pour en savoir plus sur le programme Mindfully Muslim de la Dre Ahmad, veuillez consulter le site https://www.mindfullymuslim.com/.
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